77Printemps/Primavera 2019
60 ans après le Deuxième Congrès des Écrivains et Artistes Noirs (Rome, 1959) : l’héritage
sous la direction de Bernard Mouralis et de Nataša Raschi
Sommaire / Indice
Bernard Mouralis, Nataša Raschi, L’héritage de Rome
Jean Derive, Pour une périodisation raisonnée de la création romanesque en Afrique francophone depuis le Congrès de Rome
Sélom Komlan Gbanou, « Tous les chemins mènent à Rome ! » Destins et destinée de l’institution littéraire africaine avant et après le Congrès de 1959
Josias Semujanga, De l’invention de la modernité culturelle et littéraire en Afrique
Odile Cazenave, L’art de la transmission : ces écrivains en conversation avec leurs pères/pairs
Florian Alix, Figures du leader africain : politique et culture. Du Congrès de Rome au roman postcolonial
Nataša Raschi, L’absence d’une présence : du silence à la parole des femmes noires
Jean Derive, Pour une périodisation raisonnée de la création romanesque en Afrique francophone depuis le Congrès de Rome
Cet article présente, sur le critère de ruptures épistémologiques, trois périodes pertinentes dans la production romanesque en Afrique francophone : la période de la posture panafricaine et de l’écriture académique (1950-1970) ; la période de l’ancrage négro-local et de la « tropicalisation » du français (1970-2000) ; la période du décentrement postcolonial et de l’écriture décomplexée dans le cadre de la littérature-monde (2000-2018). À propos de chacune de ces trois périodes est évalué l’héritage du congrès de Rome.
Sélom Komlan Gbanou, « Tous les chemins mènent à Rome ! » Destins et destinée de l’institution littéraire africaine avant et après le Congrès de 1959
Cet article met le Congrès de Rome au centre de la traversée de l’histoire des revendications identitaires des Noirs. En étudiant les actes de cette rencontre, on aperçoit le lien difficile qui parcourt les littératures africaines en quête de légitimation : avant Rome, c’est l’écho de Harlem et le chant de la solidarité de la diaspora avec l’Afrique ; après Rome, c’est la multiplication des projets fondés sur l’équation savoir-pouvoir, où le pouvoir figurerait en tant que justification du savoir (lieux de production, de discussion et de jugement).
Josias Semujanga, De l’invention de la modernité culturelle et littéraire en Afrique
Cette étude part de l’hypothèse que les débats du Congrès de Rome n’ont pris aucune ride 60 ans après. Il s’agit aujourd’hui comme hier de résoudre les problèmes contemporains autant politiques, culturels qu’économiques en Afrique et dans sa diaspora. Car la liberté – individuelle, sociale, politique, économique et culturelle – demeure pour des millions de femmes et d’hommes en Afrique, dans la Caraïbe et aux États-Unis – où le racisme est le lot de nombreux Noirs – l’horizon ultime de leurs aspirations et actions. Elle se limitera aux seul domaine de l’art et littérature, et plus particulièrement à l’histoire des idées sur ce sujet dans la critique littéraire. On montrera comment l’histoire de la critique littéraire africaine relaie encore les idées du Congrès de Rome à partir de trois aspects : le choix esthétique, la langue d’écriture et l’engagement de l’écrivain.
Odile Cazenave, L’art de la transmission : ces écrivains en conversation avec leurs pères/pairs
Loin de mon père (Véronique Tadjo, 2010), Ainsi parlait mon père (Sami Tchak, 2018) et Revenir (Raharimanana, 2018) auxquels titres on pourrait ajouter Pour que ton ombre murmure encore (1999) d’Angèle Kingué, et Mon Royaume pour une guitare (2016) de Kidi Bebey, évoquent la figure du père sous la forme d’hommage ou de conversation. À partir de la place accordée à la parole du père dans ces romans, l’article examine en quoi leurs auteurs sont emblématiques d’une démarche, et marquent un retour sur leur héritage littéraire et culturel qui les situerait dans une autre conversation – virtuelle – avec leurs pairs, les Senghor, Césaire, Diop et Fanon, lesquels, au Congrès de Rome en 1959, esquissaient les étapes d’une littérature qui puisse dialoguer avec les prises de conscience politique d’alors.
Florian Alix, Figures du leader africain : politique et culture. Du Congrès de Rome au roman postcolonial
En 1959, les participants au Congrès de Rome établissent un lien entre culture et politique : le dirigeant doit représenter la culture, dans un geste de défense ou d’innovation. Cependant, on peut voir dans le roman postcolonial une transformation du leader en dictateur, qui semble être un simulacre du point de vue culturel. Ainsi, le processus d’écriture littéraire n’est pas de représentation mais de figuration, interrogeant la dynamique de la représentation politique.
Nataša Raschi, L’absence d’une présence : du silence à la parole des femmes noires
L’article analyse le manque de voix féminines au Deuxième Congrès des Écrivains et Artistes noirs de 1959. Cette absence est d’autant plus inquiétante que les femmes sont présentes dans la critique et la production littéraire, ainsi que dans l’oralité et l’historiographie africaines, c’est-à-dire dans cette sphère culturelle au sens large qui a amené l’élite noire à ses revendications. Pourtant, ce sont les hommes qui se battent pour leur avenir lors du Congrès, ce qui déterminera une entrée tardive des femmes dans le panorama de la création littéraire. Ce n’est que vers les années 1980 qu’elles arrivent à s’imposer par leur parole, à partir des espaces créatifs laissés libres par les hommes et finissant par occuper tous les genres.
Jean Derive, Historical Panorama of Novel Production in French-Speaking Africa, since Rome Symposium
This paper, accounting some pertinent events, intends to present an historical panorama of novel production in French-Speaking Africa, divided in three distinct periods : the period of Panafrican posture and academic writing (1950-1970) ; the period of ethnic or national reference distinguished by a « tropicalisation » of the French language (1970-2000) ; the postcolonial period characterized by a free writing in the framework of World Literature (2000-2018). For each of these three periods, the inheritance of Rome symposium is evaluated.
Sélom Komlan Gbanou, «All roads lead to Rome !» Destiny and future of the African literary institution before and after the Congress of 1959
This article focuses on the history of black identity claims. By studying the proceedings of the Rome Congress, it demonstrates the difficult link that crosses African literature in search of legitimacy : before Rome, it is the echo of Harlem ; after Rome, it is the multiplication of projects based on the knowledge-power equation, where power appears as a justification of knowledge (places of production, discussion and judgment).
Josias Semujanga, On the invention of cultural and literary modernity in Africa
This study is based on the assumption that the debates of the Rome Congress are still valid sixty years later. Today, as in the past, it is a matter of solving contemporary political, cultural and economic problems in Africa and its diaspora. Because freedom – individual, social, political, economic and cultural – remains for millions of women and men in Africa, the Caribbean and the United States – where racism is the lot of many Blacks – the ultimate horizon for their aspirations and actions. The study will be limited to the field of art and literature, and more particularly to the history of ideas on this subject in literary criticism. We will show how African criticism still relays the ideas of the Congress of Rome from three aspects : the aesthetic choice, the language of writing and the commitment of the writer.
Odile Cazenave, The art of transmission : contemporary francophone writers in conversation with their (spiritual) fathers
Taking Loin de mon père (Véronique Tadjo, 2010), Ainsi parlait mon père (Sami Tchak, 2018) and Revenir (Raharimanana, 2018), and also Pour que ton ombre murmure encore (1999) by Angèle Kingué and Kidi Bebey’s Mon Royaume pour une guitare (2016), as starting points, this article examines the role of the father and his voice in the micro-text, how it can be read as an aesthetic approach and query, and be emblematic of a larger conversation with the previous generation of intellectuals part of the Congrès de Rome.
Florian Alix, Figures of the African leader : politics and culture from the Rome Congress to the postcolonial novel
In 1959, the participants of the Rome Congress establish a link between culture and politics : the leader has to represent the culture, to defend or to innovate it. However, we can see in postcolonial novel a transformation of leader into dictator, which appears to be a simulacre from the cultural point of view. In that way, the process of literary writing is not one of representation but one of figuration which interrogate the dynamic of political representation.
Nataša Raschi, The absence of a presence : from the silence to the voices of Black women
The aim of this paper is to investigate the lack of women’s voices at the Second Congress of Black Writers and Artists (Rome, 1959). It brings out the machismo of the French-speaking literary world of the time and the injustice perpetrated against women whose absence does not correspond at all to a void. This absence is all the more worrying because women are present in literary criticism and production, as well as in African orality and historiography. However, it is men who are fighting for their future at the Congress and it is always men who are in charge of talking about them and for them after independence, which will cause women to lag behind in entering the panorama of literary creation. It was only in the 1980s that women raise their own voices and take their place in literary production, at first by using the creative spaces left free by men and then occupying all genres.
Bernard Mouralis
Bernard Mouralis est professeur émérite à l’Université de Cergy-Pontoise. Il a enseigné à l’Université de Lille III ainsi que dans plusieurs universités africaines (Abidjan, Lomé, Cotonou). Ses publications portent sur les littératures de langue française en Afrique subsaharienne, les relations entre littératures et cultures du Nord et du Sud, la théorie de la littérature. Dans ces trois domaines, il a publié une vingtaine d’ouvrages. Parmi ceux-ci : Individu et collectivité dans le roman négro-africain (Université d’Abidjan, 1969), Les Contre-littératures (PUF, 1975, rééd. 2011), L’œuvre de Mongo Beti (Saint-Paul, 1981), Littérature et développement. Essai sur le statut, la fonction et la représentation de la littérature négro-africaine d’expression française (Silex, 1984), V.–Y. Mudimbe ou le discours, l’écart et l’écriture (Présence Africaine, 1988), Montaigne et le mythe du bon sauvage, de l’Antiquité à Rousseau (Bordas, 1988), L’Europe, l’Afrique et la folie (Présence Africaine, 1993), République et colonies (Présence Africaine, 1999, rééd. 2012), L’Illusion de l’altérité (Champion, 2007), Littératures africaines et Antiquité (Champion, 2011), Le Sud du Nord (Champion, 2014), Théo Ananissoh, Sony Labou Tansi, Améla et moi (L’Harmattan, 2017). <b.mouralis@free.fr>
Jean Derive
Jean Derive est professeur émérite à l’université de Savoie-Montblanc où, jusqu’en 2003, enseignant la littérature comparée, il s’est spécialisé dans les littératures francophones, notamment africaines. Il a été chercheur à l’UMR LLACAN (Langues, Langage, Cultures en Afrique Noire) jusqu’en 2018. Entre autres, il a publié : Collecte et traduction des littératures orales (Selaf, 1975) ; Le Fonctionnement sociologique de la littérature orale (Institut d’Ethnologie, 1987) ; (avec G. Dumestre) Des hommes et des bêtes. Chants de chasseurs mandingues (Classiques Africains, 1999) ; L’épopée, unité et diversité d’un genre (Karthala, 2002) ; L’Art du verbe dans l’oralité africaine (L’Harmattan, 2012) ; Chanter l’amour en pays dioula (Classiques Africains, 2018). <jean.derive@orange.fr>
Sélom Komlan Gbanou
Sélom Komlan Gbanou est Professeur titulaire de littérature, de théâtre et de cinéma de langue française à l’Université de Calgary (Canada), après avoir enseigné la littérature et le théâtre francophones aux Universités de Brême et de Bayreuth en Allemagne. Il a été professeur invité à l’École nationale de théâtre du Canada (Montréal). Il est membre du CIEF, du CELFA (Centre d’Études Linguistiques et Littéraires Francophones et Africaines) et est aussi fondateur et directeur de la revue d’études francophones Palabres dont le premier numéro remonte à 1996. <sgbanou@ucalgary.ca>
Josias Semujanga
Josias Semujanga est professeur de littératures francophones au Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal. Ses travaux portent sur le roman africain, la théorie littéraire et les récits du génocide. Ses principales publications sont, entre autres, Narrating Itsembabwoko : When Literature Becomes Testimony of Genocide (Peter Lang, 2016) ; Intertextualité et adaptation dans les littératures francophones (avec Isaac Bazié, Athena Verlag, 2013) ; Le Génocide, sujet de fiction ? Analyse des récits du massacre des Tutsi dans la littérature africaine (Nota Bene, 2008) ; Origins of the Rwandan Genocide (Humanity Books, 2003) ; Dynamique des genres dans le roman africain. Éléments de poétique transculturelle (L’Harmattan, 1999) ; Les Récits fondateurs du drame rwandais. Discours social, idéologies et stéréotypes (L’Harmattan, 1998) et Configuration de l’énonciation interculturelle (Nota Bene, 1996). Il a également dirigé de numéros de revue, entre autres : Les Figures du livre et de l’écrivain dans le roman africain (Présence francophone, 2018) ; Le Témoignage d’un génocide ou les chatoiements d’un discours indicible (Présence francophone, 2007) ; Ahmadou Kourouma ou la mémoire du temps présent (Études françaises, 2006) ; La Rumeur (Protée, 2004) et Les Formes transculturelles du roman francophone (Tangence, 2004). <josias.semujanga@umontreal.ca>
Odile Cazenave
Odile Cazenave est professeure d’études françaises à la Boston University et y dirige le Department of Romance Studies. Sa recherche porte sur l’écriture, l’esthétique et la réception de textes littéraires et filmiques postcoloniaux en français. Ses publications incluent Femmes rebelles : naissance d’un nouveau roman africain au féminin (L’Harmattan, 1996 ; en anglais, 1999), Afrique sur Seine. Une nouvelle génération de romanciers africains à Paris (L’Harmattan, 2003 ; en anglais, 2005) et, en co-écriture avec Patricia Célérier, Contemporary Francophone African Writers and the Burden of Commitment (University of Virginia Press, 2011). Éditrice invitée ou co-éditrice pour plusieurs numéros de revues, elle a notamment co-édité L’Engagement au féminin avec l’écrivaine et philosophe Tanella Boni (Cultures Sud, n. 172), et, avec Patricia Célérier, Vingt ans après le génocide des Tutsi du Rwanda : regards sur la production artistique (Présence francophone, n. 85), ainsi que Nouvelles Études Francophones, vol. 33, n. 1, 2018 portant sur le documentaire africain et afro-diasporique. <cazenave@bu.edu>
Florian Alix
Florian Alix est maître de conférences à la Faculté des Lettres de Sorbonne-Université, rattaché au CIEF. Il est l’auteur d’une thèse sur l’essai postcolonial. Plusieurs de ses articles ont paru sur les littératures subsahariennes, maghrébines et antillaises (Édouard Glissant, Dany Laferrière, Driss Chraïbi, Abdelkebir Khatibi, Mongo Béti, V.-Y. Mudimbe…). Membre du collectif « Write back », il a codirigé l’ouvrage Postcolonial Studies : modes d’emploi (Lyon, PUL, 2013). <florian.alix.13@gmail.com>
Nataša Raschi
Nataša Raschi est professeure associée de langue française auprès du Département des Lettres de l’Université de Pérouse. Elle a publié, parmi d’autres, des essais sur l’œuvre de Bernard Dadié, d’Alain Mabanckou, de Werewere Liking, de Charles Nokan, d’Ahmadou Kourouma et de Bernard Zadi Zaourou, et un livre ayant pour titre Quand le tronc se fait caïman. Drammaturgie di Costa d’Avorio (Bulzoni, 2002). Elle a traduit du français en italien Bernard Zadi Zaourou (Il Segreto degli Dei, La Rosa, 1999 et Teatro e poesia in Costa d’Avorio, L’Harmattan Italia, 2002) et Werewere Liking (Parlare cantando, L’Harmattan Italia, 2003 et Medea. I rischi di una certa reputazione, Stampatori, 2006). <natasa.raschi@unipg.it>
Comptes rendus/Recensioni
E. Bertho, Sorcières, tyrans, héros. Mémoires postcoloniales de résistants africains (É. Brezault)
A. Adler (dir.), Arno Bertina (M. Kieffer)
S. Teroni, Da una modernità all’altra. Tra Baudelaire e Sartre (M. C. Gnocchi)
M. Bertini, L’Ombra di Vautrin. Proust lettore di Balzac (I. Vidotto)
Notes de lecture/Schede
Pubblicato con contributi del Dipartimento di Lingue, Letterature e Culture Moderne dell’Università di Bologna.
ISBN 978 88 222 6689 7